Coup de foudre
C’est l’heure de la pose dans l’atelier de sculpture.
En cercle, sur des sièges de fortune, les élèves entament
leur casse-croute. Débats, dernières expositions, celles à venir.
Claire pioche dans son muesli, elle lance :
– Il y a une triennale de la sculpture en verre à Liège. Ce serait intéressant d’y aller. On pourrait organiser un co-voiturage. Qui est intéressé ?
Plusieurs mains se lèvent.
– J’ai quatre places dans ma voiture.
– Moi aussi.
– Si c’est nécessaire, je peux prendre la mienne.
– C’est bientôt les vacances de Pâques, on pourrait en profiter.
– Claire, tu t’en occupes ?
Devant le siège liégeois de la Banque organisatrice, une affiche
annonce une septantaine d’artistes verriers issus de quinze pays d’Europe. Dès l’entrée, un corps en verre, grandeur nature, couché, lave translucide. L’oeuvre a été maintenue, plus d’un mois, dans un four à température contrôlée.
Tout au long se révèlent des merveilles, brutes, délicates, figuratives, abstraites, élaborées, stylisées, excessives ou minuscules. Tous les styles, toutes les techniques verrières sont représentées. Matière fragile, rigide, tant de possibilités créatives.
Découverte
Mystère du verre, peu de documentation.
Selon Pline il fut découvert par des marchands phéniciens. Sur un rivage sablonneux, faisant cuire leurs aliments dans des marmites supportées par des blocs d’une sorte de chaux, ils remarquèrent un liquide visqueux inconnu qu’ils appelèrent « verre ». C’est une légende, l’élaboration du verre nécessite une température d’environ 1300°C. Substance amorphe, solide et liquide par élévation de la température, principalement composée de sable, (de la silice plus exactement), auquel on adjoint un fondant pour permettre de diminuer la température de fusion, primitivement de la cendre de fougère ou d’algues, ainsi que d’un stabilisant, de la chaux par exemple. L’apparition du verre soufflé remonterait au premier siècle avant J-C, par l’invention de la canne à souffler attribuée à la Syrie.
Initiation aux nombreuses sortes de verre. Le plus courant, le verre « à vitre » ou verre « flotté ». Liquide, il sort du four, ruban flottant à la surface d’un bain d’étain fondu pour lui garder sa transparence. Technique des années 60. Auparavant, le verre était soufflé en forme de cylindre, fendu et étalé dans le sens de la longueur, méthode encore utilisée pour le vitrail.
Matière enrichie d’oxyde de plomb, plus souple, plus facile à manier, le cristal, brillant et sonore, est travaillé par les « maîtres » verriers.
Sans-Poterie
– J’ai trouvé une école de verre en France, à Sars-Poteries, près de la frontière. Il y a un cours pour débutants qui aborde les différentes techniques. J’ai envoyé ma demande de participation, elle a été acceptée.
– C’est pour quand et combien de temps ?
– Une semaine en mai.
– Ce n’est pas à côté de la porte ! Tu ne vas pas pouvoir rentrer tous les soirs.
– Il y a possibilité de loger dans un gîte à côté. A midi on ira ensemble dans un resto du village pour un plat du jour. Le soir on peut préparer son frichti dans le gîte ou avoir un repas à un prix raisonnable, dans la fameuse « Auberge Fleurie ». Elle est réputée jusqu’à Charleroi.
– Je vois que tu as pensé à tout !
– Je n’ai pas besoin de voiture sur place. Tu pourrais m’y conduire, tu verrais ce qu’on y fait.
Le Musée du verre, imposante maison de l’ancien propriétaire de la verrerie, au centre d’un parc, le long de la grand route. Une secrétaire vérifie les inscriptions.
– Bonjour, je suis la directrice du musée. – C’est une femme mince, tout sourire. – L’atelier du verre se trouve au bout du village, au bord de la rivière. Votre professeur vous y attend.
Dans un vieux moulin à eau réaménagé, une première salle voutée, avec deux grande tables. Des objets en verre hétéroclites, certains de véritables oeuvres d’art, d’autres des ébauches maladroites. La pièce suivante a un plafond haut. Des fours rougeoient, d’autres ressemblent à d’énormes coffres-forts. Des instruments sont accrochés aux murs, des tiges métalliques dans des sortes de tonneaux.
– Voici votre professeur, Jérôme Germain.
Sarrau gris, moustache et barbichette à la Richelieu, cheveux poivre-sel mi-longs bouclés. « Maître-verrier ». Appellation du Moyen-Age pour une des rares occupations manuelles autorisées aux nobles.
– Bonjour. Mon atelier se trouve en Normandie en bordure de Seine et de la région Île de France. Mes parents déjà étaient verriers. En plus du vitrail, je souffle le verre. Je viens de restaurer les vasques en verre de la place de la Concorde. Et voici Patrice le chef de l’atelier qui pourra vous aider pour tous problèmes techniques.
Cheveux courts, légèrement grisonnants, stature imposante, salut souriant.
– Faisons d’abord un tour de table pour faire connaissance, avant d’aborder les différentes facettes du verre.
Sept élèves, trois garçons, quatre filles, d’âges divers. Certains ont déjà suivi une session en « fusing » et thermoformage, personne n’a encore soufflé.
– Nous allons commencer par la pâte de verre, c’est ce qui demande le plus de temps. Faites un modèle en terre glaise, pas plus de 15 cm pour des raisons de place dans les fours et de temps de cuisson. Nous ferons les moules en plâtre cet après-midi.
Le restaurant n’est pas loin, ils y vont à pied. Détente, autour de la table. Jérôme est en verve, sa gouaille fait rire. Il raconte des anecdotes sur sa pratique, comment il a procédé avec des assistants au soufflage des énormes boules de verre qui ornent la place de la Concorde. C’était épique !
Au retour, Il montre comment faire le gabarit qui contiendra le prototype dans lequel sera versé le plâtre réfractaire. Cette mixture doit résister à de très hautes températures, sans se fissurer. Le plâtre pris, le coffrage est retiré et renforcer par un treillis à poules.
– Vous pouvez extraire l’argile. Nettoyez bien l’intérieur du moule pour ne pas salir le cristal qui le remplira. Une collerette placée autour de l’ouverture ou un pot de fleur en terre cuite avec un trou à la base pour contenir le supplément de verre . En chauffant le cristal prend un consistance mielleuse qui remplit toutes les anfractuosités.
Patrice prépare les fours où seront enfournés les moules. Jérôme dessine sur le tableau la courbe de cuisson qu’il enregistrera sur le petit ordinateur qui commande le four. Elle se fait en trois phases, en fonction de la qualité du verre, de son épaisseur et celle du moule. Montée de la température par paliers, ensuite maintien à haute température un temps déterminé avant la descente rapide jusqu’au pallier de recuisson. C’est étape délicate où le verre se resolidifie. Attente avant de laisser descendre doucement à la température ambiante pour la stabilisation du verre. Une ouverture du four trop tôt provoquerait un choc thermique avec de la casse comme résultat.
Les jours suivants servent à apprivoiser, à manipuler sans se blesser, à couper des plaques d’un geste vif et précis. Des morceaux de verre colorés assemblés pour être fusionnés à chaud, tout en veillant à leur compatibilité. Des coefficients de dilatation différents pourraient provoquer des tensions et donc des risques de rupture dans le verre.
– Maintenant que toutes pièces sont dans les fours, nous allons apprendre à souffler le verre.
Patrice a mis à chauffer devant l’ouverture du four, les extrémités de quelques cannes et ferrets. Jérôme saisit une canne, la plonge dans le creuset où il cueille en tournant une petite quantité de verre incandescence. D’un souffle bref dans l’embout de la canne et en bouchant aussitôt l’orifice de son doigt, il fait naître une bulle due à la dilatation de l’air au contact du verre chaud. Il replonge la canne dans le pot pour ajouter de la matière et souffle à nouveau pour augmenter la bulle. Il recommence plusieurs fois l’opération. A chaque fois il s’assied sur le banc de soufflage qui est flanqué de part et d’autre d’une barre métallique horizontale. Il y pose sa canne et la fait rouler devant lui pour empêcher le verre de s’affaisser pendant le travail. Il empoigne une « mouillette » – c’est un simple papier journal plié et trempé dans un seau d’eau – qui permet, grâce à sa souplesse et à une isolation relative, d’utiliser la main pour façonner le verre. Il emploie aussi une « mailloche », sorte de grosse cuillère en bois mouillé. Régulièrement il va au « gloria », le four de réchauffe pour maintenir la boule de verre dans une chaleur suffisante pour garder sa malléabilité. Jugeant que le résultat est atteint, il fait signe à Patrice, qui durant ce temps a préparé le « pontil », une petite masse de verre cueillie avec un ferret et roulée sur le « marbre », une grande table métallique. Toujours en tournant, le « pontil » est fixé sur la boule de verre. A l’aide d’un instrument mouillé, le contour du col est refroidi. D’un léger choc, elle est libérée de la canne. Après réchauffement, Jérôme élargit l’ouverture avec des fers. Il se met debout, lève la tige en faisant des mouvements de rotation de plus en plus rapides. La boule s’ouvrir en corolle, comme une fleur au soleil, jusqu’à former un grand disque. Moment magique ! Jérôme va rapidement à l’arche où, après séparation du pontil, la pièce y est déposée pour sa recuisson. Le four est maintenu à 550°C avant une lente descente de température.
Tout le monde applaudit.
Demain, ouverture des fours. Pourvu qu’il n’y ait pas de casse !
– Ce midi on ne traîne pas, buvez pas trop ! Tout à l’heure, on s’exercera
au soufflage.
Claire souffle sa première boule. Elle s’époumone et devient écarlate. Jérôme sourit, lui prend la canne :
– Tu vois, tu lances une petite bouffée, tu bouches tout de suite l’ouverture et
tu contrôles l’expansion de l’air, puis tu recommences petit à petit, en n’oubliant pas de tourner la canne et de réchauffer régulièrement le verre. La première boule est un peu cabossée, la suivante va mieux. Une condisciple et elle s’échangent tour à tour les rôles, assistante puis exécutrice. Passion de modeler cette matière vivante, difficulté de soutenir une rotation constante.
Claire s’amuse à appuyer puis tourner une masse de verre chaud sur des pigments étalés sur le marbre, pour décorer des « sulfures » (presse-papier). Jérôme aborde aussi le « sand-casting ». Dans des caisses en bois remplies de sable humide, on incruste des formes en creux dans lesquelles on coule du verre en fusion. A peine solidifiées, les pièces sont démoulées et portées dans l’arche. Claire construit des formes en bois, empreintes dans le sable, ajout de pigments, de clous. Patrice y coule le verre comme du miel rougeoyant avec une sorte de longue louche.
Le lendemain, moment d’émotions, les pièces sont sorties du four ! Celles de Claires sont en bon état. Commence alors la partie la moins attrayante : le finissage. Le plâtre contenant les pâtes de verre est cassé pour découvrir les oeuvres. Elles sont brossées, lavées, légèrement sablées pour enlever toutes traces blanchâtres, polies pour leur donner du brillant. C’est un processus fastidieux compensé par la beauté peu à peu dévoilée.
Le dernier jour, Visite du musée. Mieux comprendre les techniques utilisées. Dans la vieille bâtisse, les planchers grincent. Au rez-de-chaussée, dans des vitrines, sont disposés des « bousillés ». Ces objets en verre dont la plupart témoignent d’une maîtrise incroyable, ont été exécutées par les ouvriers-verriers durant leur temps de pose, avec l’accord du directeur de la verrerie, aujourd’hui disparue. Dans les salles du fond et à l’étage, profusion d’oeuvres contemporaines créées par des maîtres-verriers de renommée internationale. Jérôme détaille chacune d’elles. Claire suit avec attention les explications. D’autres stages l’attendent.